Cultiver la terre...
Deux agriculteurs Gardois témoignent de leur vie, de leur rapport au temps, à la foi … à partir de leur lien avec la terre vécu comme un lien avec la création, avec les autres, avec Dieu.
Ils nous livrent une magnifique relecture spirituelle de leur vie bien enracinée dans le concret !
Qui sommes-nous ?
T : Bagnolais de pure souche
C : Bourguignonne d’origine, Bagnolaise d’adoption
Nos chemins se sont croisés il y a 21 ans
Mariés depuis 5 ans nous avons 3 enfants.
T : Agriculteur (de père en fils, mais un vrai choix)
C : Enseignante de formation et engagée sur le domaine et dans les projets communs liés à l’agriculture
Nous cultivons le raisin, mais aussi les olives et les grenades en agriculture biologique
Intervention de T :
Merci pour votre présence à tous. J’ai rarement eu l’occasion de parler en public, merci de votre indulgence.
Lorsque Christine m’a demandé de parler de mon lien à la terre, j’ai été tout d’abord surpris et un peu gêné, car le lien qu’ont la plupart des agriculteurs à la terre est un lien intime, presque secret.
Il est difficile de mettre des mots sur celui-ci.
Il est tout d’abord nécessaire que je vous présente rapidement mon travail :
Je suis agriculteur à Bagnols sur Cèze.
Ma famille, depuis de nombreuses générations, a vécu du travail de la terre.
Nous avons cultivé toutes sortes de fruits et de légumes (cerises, asperges, abricots, tomates etc…)
Aujourd’hui nous cultivons la vigne, l’olivier, et depuis quelques années le grenadier.
Nous sommes également pépiniéristes, spécialisés dans la production de plants de grenadiers.
J’ai également la chance de pouvoir cultiver un jardin potager pour la consommation familiale.
Je considère en premier lieu la terre comme une amie, une partenaire. Ce n’est pas une personne bien sûr, mais elle vit ! Elle est parfois en pleine forme et très fertile, et elle se trouve parfois en souffrance lors des sécheresses par exemple.
J’ai souvent remarqué que mon état psychique était lié à celui de la terre. Très heureux lorsque la terre est belle et en souffrance lorsque le climat ou les maladies la freinent dans son développement.
La terre est un élément très complexe, je dirais même mystérieux. Chaque centimètre carré de terre contient des milliers d’organismes vivants, bactéries et autres. Elle est également constituée de différents éléments, sable, argile, limon, humus.
Les proportions ne sont jamais les mêmes.
Face à cette complexité, l’agriculteur a un lien de chercheur pour essayer de comprendre cette terre pour adapter sans cesse son travail, ses techniques de culture, la fertilisation etc…
Nous expérimentons sans cesse de nouvelles techniques, afin de pouvoir produire des denrées alimentaires sans épuiser la terre.
Je pense souvent à cette phrase : « Nous empruntons la terre à nos descendants »
L’idée est donc bien de rendre aux générations futures la terre meilleure que lorsque nous l’avons reçue, mais ce n’est pas facile !
Souvent, sur un tracteur je réfléchis à comment je pourrais mieux faire pour que ma terre soit plus fertile, comment je pourrais l’améliorer, quelles erreurs éviter. Mais au fil des années je me rends compte que c’est plutôt la terre qui me façonne et façonne les hommes qui la cultivent.
En cultivant la terre, on apprend le temps long, la patience, on n’est pas dans l’immédiateté. Si nous plantons une vigne aujourd’hui, nous allons récolter le premier raisin dans 3 ans. Pendant ces trois années il faudra attacher, tailler, biner etc. …
Un olivier met 10 ans avant de produire une olive par exemple.
Cultiver la terre c’est aussi être dans le concret. Il est très agréable, pour nous humains de pouvoir voir le fruit de notre travail. Nous semons et récoltons. C’est un élément qui procure une grande satisfaction personnelle et qui conduit vers l’émerveillement. Cultiver la terre façonne aussi notre corps. C’est un travail souvent physique où on utilise de nombreuses parties du corps : les mains, lles bras, les jambes, les doigts etc. … et même la tête parfois !
Notre corps ressent le froid en hiver lors de la taille des vignes, la chaleur en été, le mistral, la pluie etc. …
Au fil des années nous devenons plus résistants aux éléments et notre corps change. Des rides apparaissent sur le visage, les mains sont crevassées. Tout cela, finalement, je l’accepte assez facilement. Lorsque mon corps souffre je me sens vivant.
Cultiver la terre nous apprend l’humilité et la persévérance. Quand on commence, on croit savoir, mais au fil des années on s’aperçoit que l’on ne connaît rien. Chaque année est différente et il faut sans cesse s’adapter. En agriculture, on ne peut pas faire de business plan … il faut composer avec les aléas climatiques (grêle, gel, etc…), les méventes et les attaques de maladies qui ravagent les cultures. La seule solution face à cette incertitude permanente, c’est l’humilité : c’est accepter de ne pas savoir, de ne pas comprendre. Il est nécessaire de ne pas avoir de certitudes. La terre nous apprend aussi à persévérer à ne pas céder à la tentation de l’abandon ou de la facilité.
Si l’année est mauvaise, on fera mieux l’année prochaine !
En dernier point, j’ai envie aussi de dire que cultiver la terre m’a également permis de cultiver mon amitié avec Dieu.
J’ai la chance de vivre de longs moments de silence et de solitude dans mon travail où je peux relire ma vie et voir les signes de la présence de Dieu dans celle-ci .
Lorsque l’on taille la vigne en hiver pendant 8 h seul pendant 3 mois, on a le temps de penser à Dieu.
Il y a aussi l’émerveillement face à la création et à la magie divine de celle-ci qui fait qu’avec de la terre, de l’eau et du soleil, Dieu nous donne l’abondance de la nourriture pour toute l’humanité.
Il m’est finalement assez difficile de conclure ce sujet de la terre car j’ai l’impression de ne pas avoir tout dit. On pourrait explorer tant de facettes de cette relation qu’ont les hommes à la terre depuis toujours.
Je suis également attristé de voir, de constater qu’aujourd’hui les agriculteurs représentent moins de un pour cent de la population française. Ils sont eux même parfois divisés entre les bio et les conventionnels.
Les agriculteurs sont trop souvent accusés de tous les maux : pollution de l’eau, bruits de tracteurs, chant du coq dans les villages, sans parler des pesticides et des conflits liés à l’usage de l’eau, et j’en passe.
Je conserve tout de même de l’espérance. La terre m’a appris peu à peu que les hommes sont liés à jamais avec elle.
Notre alimentation, notre équilibre physique, et psychique, notre spiritualité et beaucoup d’autres choses sont liés à la terre.
Il suffit de faire un petit jardin et de mettre les mains dedans pour réaliser à quel point le contact avec la terre peut faire du bien. Je vous conseille l’expérience (sans oublier la patience, l’humilité et la persévérance)
J’ai de l’espoir quand un directeur commercial vient me voir et me dire j’en ai marre de cette vie de fou, je veux planter des choux ! ou lorsqu’un jeune fraîchement diplômé de grande école me dit : je cherche un stage pour apprendre le maraîchage …
Intervention de C :
Le métier d’agriculteur pourrait apparaître comme un métier rude, solitaire, c’est le cas, mais au fur et à mesure des années, nous avons remarqué que notre activité agricole (à la base ) nous a amenés à tisser et à entretenir de très nombreux autres liens !
Dans un premier temps, ce lien à la terre, le travail de la terre rapproche trois générations : les parents de T, nous et nos 3 enfants.
Pour R(notre fils de 17 ans) et P(13 ans) travailler, planter une vigne, récolter avec son père et son grand père côte à côte sont des expériences qui enracinent, qui ont du sens, des expériences qui les construisent, des expériences fondatrices .
De nombreux jeunes frappent à la porte, et souhaitent partager l’expérience du travail de la terre pendant une semaine, un mois, un an. Ils ont besoin de se reconnecter avec la nature, avec eux même (ex :Rémi qui a été pendant 3 ans apprenti cuisinier dans les sous-sols d’un restaurant, nous a dit qu’il n’en pouvait plus de voir uniquement la lumière du néon et d’être enfermé, il avait un besoin immense d’oxygène et de travail sous le soleil àl’air libre )
Nous sommes amenés également à travailler avec des hommes d’origine et de religion différentes des nôtres. La grenade, fruit très cultivé en Turquie, Tunisie et Afrique du Nord est un fruit qui leur rappelle leur pays. Quand Mohammed ou Fouad parlent de grenade leur regard s’illumine !
La grenade est un fruit qui rassemble les cultures, mais c’est surtout le fait de travailler ensemble, de transpirer ensemble qui efface et fait tomber toutes les barrières sociales, culturelles et religieuses.
Notre activité nous a amenés également à rencontrer Benjamin, un berger de Savoie qui vient faire paître ses brebis en hiver dans les vignes, au milieu des oliviers plusieurs années de suite. Un exemple d’interdépendance : il a pu nourrir ses brebis avec les lierres dans les murets, les herbes … et nous : plus aucune herbe en vue et le terrain est fumé par les excréments des animaux et quelle ambiance dans les vignes !
Plusieurs agriculteurs du Jura et de l’Ardèche, mettent leurs ruches depuis 2-3 ans dans les champs de grenadiers, en se nourrissant, les abeilles favorisent la pollinisation des arbres fruitiers .
Certaines écoles, certaines MFR (maisons familiales rurales), viennent parfois passer une après-midi pour découvrir la culture de la grenade, ce fruit oublié, source de beaux échanges, plein de questions, de chouettes moments de partage avec les jeunes et leurs encadrants.
Nous sommes en lien avec des agriculteurs de toute la France qui viennent chercher des plants et des conseils par rapport aux techniques de culture et de plantation, mais qui viennent aussi et souvent juste chercher quelqu’un qui croit en leur projet, qui croit en eux, quelqu’un qui pose un regard de confiance sur eux ; ils ont surtout besoin d’être rassurés.
Pas facile dans l’agriculture d’oser se lancer dans une nouvelle culture, ou d’oser passer en Bio, le regard des voisins, de leur famille, est souvent un frein.
Beaucoup d’agriculteurs plantent des grenadiers, les cultivent, les récoltent mais ne souhaitent pas les transformer en jus, les presser et encore moins les commercialiser. Nous restons en contact avec des paysans qui apportent leur récolte pour la faire presser au domaine. La mutualisation des outils (ici le pressoir) est source de liens entre les agriculteurs.
La commercialisation du jus de grenade nous amène également à vivre de belles rencontres :
-avec des moines : certaines abbayes ont bien voulu référencer notre jus dans leur magasin.
-avec des responsables des achats des biocoop et de magasins bio.
-mais aussi avec les personnes qui viennent chercher des bouteilles le samedi matin (nous tenons une permanence tous les samedi matin, certaines personnes viennent, on discute au début de la pluie et du beau temps, parfois de choses plus personnelles, de leur vie, de leurs joies, de leurs pleines et ils repartent parfois en oubliant de prendre leurs bouteilles …
Ces rencontres très variées, nous nourrissent et nous apportent vraiment beaucoup. Chaque rencontre est comme un cadeau !
En relisant toutes ces rencontres, nous avons remarqué que beaucoup sont spontanées (nous avons juste fait un site internet, mais après ce sont les personnes qui viennent d’elles même frapper à la porte)
Pour conclure, nous avons remarqué que la terre, mais plus largement la nature, la montagne est un outil merveilleux pour accompagner les jeunes et les moins jeunes vers la recherche d’un tout autre.
On a l’impression qu’évangéliser c’est marcher au rythme de l’autre, marcher à son côté (que ce soit avec les agriculteurs ou avec les jeunes scouts), c’est peut être juste être là, partager des doutes, des inquiétudes, des joies aussi, partager une émotion commune face à un paysage, une montagne, un lever de soleil. Ne serait-ce pas être les pieds dans la terre, dans la vie et être connecté à un tout autre ?
Je conclurai en citant un copain (prêtre) : « on évangélise par les pieds »
En étant sur le terrain, au plus proche des personnes que l’on croise, tout en étant connecté au tout autre …
Ci-dessous lien de quelques photos diffusées pendant la présentation :
https://photos.app.goo.gl/QjXFCQjQ9pEGP8T27
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