Renonçons aux postures, aux meetings, aux discours
Voici un texte fort, qu'un Evèque de France aurait du ou n'aurait pas su oser écrire ni avoir le courage de publier.
« Renonçons aux postures, aux meetings, aux discours »
Ancien curé de Saint-Germain-des-Prés et vicaire général du diocèse de Paris, Benoist de Sinety est curé de la paroisse Saint-Eubert de Lille. Pour le journal La Vie, il exhorte les chrétiens à rejeter toute instrumentalisation de l’Église et à retrouver leur prophétisme.
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Faire croire au retour des jours heureux : telle est l’hypocrisie d’un système politique et économique qui ne veut surtout pas que l’homme puisse rêver un futur, en le maintenant dans une nostalgie plus ou moins idéalisée d’un passé doré qui reviendra si les enfants sont sages.
Et le drame de tout cela c’est que nous, chrétiens, y contribuons largement. « Remettre l’église au milieu du village » : le refrain est connu mais que signifie-t-il au juste ? Il nous faut d’abord admettre que les bâtiments ne sont pas des signes suffisants pour maintenir une réalité qui s’échappe.
Ils ne sont souvent que la carcasse d’un corps devenu invisible : ainsi des donjons des forteresses médiévales, des châteaux de la renaissance ou des grosses maisons bourgeoises du XIXe siècle. Les églises, si elles occupent toujours le centre géographique de nos cités, ne manifestent plus guère l’élan vital qui suscita naguère leur construction !
Un bouleversement profond dans la société
Que dans une société illettrée, les clercs aient pu endosser temporellement la responsabilité d’une forme de gouvernement, avant d’être rejoints par d’autres au fil des siècles, qui leur disputèrent cette charge comme s’il s’agissait d’un privilège, cela semble assez normal. Mais nous voici aujourd’hui, et depuis quelque temps déjà, à la croisée des chemins : les baptisés d’aujourd’hui ont accès comme les clercs à la connaissance et ne comprennent pas tout à fait en quoi la grâce sacramentelle de l’ordination donne capacité à décider de tout et à répondre à tous.
Devant ce bouleversement profond qui s’opère dans l’ensemble de la société, ce n’est pas tant de rebattre les cartes qu’il s’agit, mais de changer des règles. Ce n’est pas tant le monde qui change que nous qui devons accepter de nous laisser transformer par les appels qui en jaillissent.
Il a fallu des siècles à l’Église pour comprendre que l’Évangile ne l’invitait pas d’abord à anathématiser. Il a fallu du temps pour qu’elle comprenne que sa vocation n’est pas de régner et gouverner les peuples ni même d’imposer sa doxa aux sociétés qu’elle a souvent magnifiquement contribué à susciter et à faire croître. Et la voici maintenant, comme embarrassée d’elle-même, tiraillée entre le « c’était mieux avant » et l’appel à avancer au large. La « dé-maîtrise » : l’art est périlleux mais sans s’y risquer rien de possible.
À ce titre, la campagne présidentielle actuelle est édifiante.
Muette devant les risques de messianisme politique que d’aucuns voudraient incarner, l’Église rappelle des critères de discernement que ne lisent que les convaincus. Elle n’arrive plus à porter une voix ferme et décidée devant les grandes questions de demain.
Qui ose dire encore aujourd’hui qu’il n’y aurait pas eu de projet européen sans la ferveur militante de quelques chrétiens ? Le drapeau, si souvent conspué par des baptisés sans culture, n’en est-il pas le signe inouï ?
Contrairement à une lecture révisionniste de l’Évangile, le christianisme n’est ni un système politique ni une norme sociale. L’idée même que le catholicisme puisse être religion d’État a été combattue par des papes comme Jean Paul II dont nul ne peut dire qu’il se soit révélé comme un souverain pontife gauchiste !
La religion n'est pas un système
En France, la papauté à laquelle les rois se sont régulièrement opposés au long de notre histoire millénaire est devenue populaire au moment où la bourgeoisie d’affaires du XIXe siècle cherchait à fédérer la nation autour d’une morale commune, avant de redevenir un sujet de tension au tournant du dernier siècle lorsque l’évêque de Rome reconnut la République comme régime légitime et qu’à Alger le clergé se mit à lui porter des toasts.
Il y a toujours eu depuis la Révolution une France fantasmée : celle-ci s’accompagne d’une religion fantasmée, elle aussi. Une Église qui assurerait au régime politique une assise morale, et par là même une paix sociale et une légitimité mâtinée de transcendance.
C’est oublier que la religion n’est pas un système mais le lien des hommes entre eux qui manifeste le lien de chacun avec Dieu. Le propre du christianisme n’est pas la foi en Dieu, commune à la plupart des êtres humains, à l’exception de quelques irréductibles Gaulois, mais la reconnaissance de Jésus comme celui qui me révèle le visage paternel de Dieu.
Hors de cette rencontre, point de foi catholique. Le baptisé qui prône la puissance de l’Église sans prendre la peine de chercher à rencontrer le Christ et à se laisser enseigner par Lui se leurre sur sa foi et son identité. Il est une sorte de « chrétien athée » qui met toute son énergie dans la sauvegarde d’un monde qui passe sans chercher à y discerner celui du royaume qui ne passe pas.
Que nul ne s’y méprenne : chercher à rencontrer et accueillir le Christ, aspirer à se laisser conduire par Lui ne sont synonymes ni de repli ni de confusion. C’est dans la mesure où le chrétien se laisse sauver qu’il est pour le monde instrument du salut. Qu’y a-t-il de plus grand pour le croyant que de permettre à celui qu’il reconnaît comme le Fils de Dieu de le laisser parler par sa bouche, agir par ses mains, voir par ses yeux, aimer par son cœur ?
Dans la guerre qui se déchaîne à nos portes, où se situe la puissance ? Dans les tirs de missiles aveugles et les colonnes blindées mises en route pour satisfaire le fantasme d’un empire qui continue à justifier sa violence en sollicitant la bénédiction de prélats aux ordres ?
N’est-elle pas plutôt dans les prières communes à des baptisés de toutes les Églises, qui se retrouvent dans les abris de fortune et invoquent le nom de Jésus pour eux-mêmes et leurs bourreaux ? S’il est loisible à tel ou tel truqueur de prétendre référer au christianisme tout en en rejetant nommément le Christ, en revanche, malheur à ceux qui cherchent à être disciples de ce même Christ s’ils ne hurlent pas à l’imposture devant un tel dévoiement.
Élever la voix
Les temps sont redoutables (sans doute le sont-ils depuis toujours) car ils sont plus incertains que depuis longtemps, en nos contrées souvent repues de félicité et de douceur de vivre. Nous nous sommes habitués à la vision du malheur humain, y compris à nos carrefours.
Sans doute découragés par sa survivance au-delà des efforts déployés par les générations de travailleurs sociaux et d’humanitaires qui rêvaient d’en finir avec la pauvreté, nous sommes devenus plus cyniques en nous prétendant plus réalistes. Sans doute parce que par mollesse nous nous sommes laissés aller à faire de l’Évangile une parole purement sociétale, voire sociale. Le déconnectant de son cœur qui est Jésus lui-même.
Quelles qu’en soient les explications, les temps ne sont ni au règlement de comptes avec le passé ni à la fuite en avant contre toute évidence. Il n’est pas d’usage, non par prudence mais par souci de ne pas faire obstacle à la mission de miséricorde qui nous est confiée, d’attaquer nommément tel ou tel, surtout par voie de presse.
Sans mettre à terre les personnes, il faut cependant élever la voix devant des idées surtout lorsqu’elles se revendiquent comme volontairement diviseuses. Et qu’elles véhiculent des projets qui sont absolument contraires à ce que les Écritures nous révèlent de Dieu et ce que la tradition de l’Église essaye de nous transmettre.
Bernanos avait bien raison de considérer le maurrassisme de ses jeunes années comme une perte de temps, une sorte de dandysme. Il nous faut renoncer aux postures, aux meetings esthétiques, aux discours grandiloquents.
Il serait plus honnête de reconnaître que nous ne savons pas vers quoi nous allons afin de redécouvrir l’Espérance liée à la promesse que le christianisme est venu déposer au cœur du monde comme le trésor précieux : « Rien ne pourra nous séparer de l’amour du Christ » (Romains 8, 35). Faute de quoi, sous prétexte de sortir d’une imposture, nous nous engouffrerons dans une autre, toujours plus mortelle pour notre âme car nous entraînant à plus de violence, d’injustice, de division.
Benoist De Sinety
(Source : La Vie)
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